Choruses from the rock

Extrait des « Choruses from The Rock », pièce de théâtre de T. S. Eliot (1934)

What life have you if you have not life together? 
There is no life that is not in community, 
And no community not lived in praise of GOD . 
Even the anchorite who meditates alone, 
For whom the days and nights repeat the praise of GOD , 
Prays for the Church, the Body of Christ incarnate. 
And now you live dispersed on ribbon roads, 
And no man knows or cares who is his neighbour 
Unless his neighbour makes too much disturbance, 
But all dash to and fro in motor cars, 
Familiar with the roads and settled nowhere. 
Nor does the family even move about together, 
But every son would have his motor cycle, 
And daughters ride away on casual pillions. 
Much to cast down, much to build, much to restore; 
Let the work not delay, time and the arm not waste; 
Let the clay be dug from the pit, let the saw cut the stone, 
Let the fire not be quenched in the forge.

Quelle vie est la vôtre si vous n’avez la vie ensemble ?
Il n’est pas de vie qui ne soit en communauté,
Et pas de communauté qui ne soit vécue en louange à Dieu.
Même l’anachorète qui médite seul,
Pour qui les jours et les nuits répètent la louange de Dieu,
Prie pour l’Eglise, le Corps du Christ incarné.
Et maintenant vous vivez dispersés sur des rubans de rues,
Et personne ne sait ni ne se soucie de qui est son voisin
A moins que son voisin ne cause trop de trouble,
Mais tous vont et viennent en se précipitant avec leurs automobiles,
Familiers des routes et établis nulle part.
Ni même la famille se déplace unie,
Mais chaque fils voudrait sa motocyclette,
Et les filles partir sur de prosaïques sièges arrière.
Beaucoup est à abattre, beaucoup à construire, beaucoup à restaurer ;
Que l’œuvre ne soit retardée, ni gâchés le temps et le bras ;
Que l’argile soit extraite de la mine, que la scie taille la pierre,
Que le feu ne s’éteigne dans la forge.

Royaume pour notre temps

Royaume pour notre temps

Article de Paul Colrat et Foucauld Giuliani
membres du Simone et du Dorothy
2017

Nous sommes admiratifs de Dorothy Day car nous reconnaissons en elle une personne qui, sa vie durant, a incarné les paroles du Christ. En se mettant à son écoute, nous devenons confiants parce que nous constatons que cette option radicale en faveur de Dieu est féconde en vraie joie, en solides liens d’amitié et en combats pour des causes justes : la prise au sérieux de l’Evangile ne condamne pas à l’isolement et au malheur.


Dorothy Day a accepté que sa vie soit bouleversée de fond en comble par sa conversion au Christ. A ses yeux, le Christ est d’abord ce paradoxe vivant d’un Dieu qui meurt mais qui sauve, d’un Dieu qui nous permet de surmonter les terribles gouffres du désespoir existentiel et du ressentiment
improductif contre un monde injuste. Le Christ est également Celui par lequel s’expriment des paroles au potentiel réellement transformateur, des paroles appelées à devenir des actes révolutionnaires. Etre catholique, c’est donc non seulement avoir foi dans le pouvoir salvifique du Christ mais aussi agir de façon à rendre visible la grâce libératrice de Dieu à l’œuvre dans l’histoire. La tâche de l’Eglise et des catholiques consiste à essayer
d’être les véhicules de cette grâce débordante et de devenir en cela «ouvriers du Royaume». Pour Dorothy Day, le Royaume n’est pas un
espace extra-terrestre qu’on projetterait de façon plus ou moins imaginaire mais bien plutôt l’expérience existentielle de la communion avec Dieu et entre les hommes. Cette expérience se vit dès à présent et elle est vécue de toute éternité.

“Le Christ est également Celui par lequel s’expriment des paroles au potentiel réellement transformateur, des paroles appelées à devenir des actes révolutionnaires.”

Pour elle nous devons tout donner. Etre croyant signifie organiser son existence de façon à rendre l’expérience de la communion accessible et
palpable. A partir de sa conversion, le souci constant de Dorothy Day et de son fidèle allié le « paysan et philosophe » Peter Maurin est d’œuvrer en ce sens. De cette ambition découlent l’organe de presse The Catholic Worker dont la mission principale est de diffuser la Doctrine Sociale de l’Eglise et de contribuer à la mobilisation sociale et le réseau des Housesof Hospitality, lieux de vie et de ressourcement pour des activistes et des pauvres.

On haussera peut-être les épaules : « Dorothy Day était d’une autre époque et d’un autre pays… » Nous pensons quant à nous que son approche de la politique peut nourrir notre engagement et notre pensée, ici et maintenant. Day développe une approche originale de l’activité politique. Plutôt que de la penser comme conquête et pratique du pouvoir institutionnel, elle nous invite à la concevoir d’abord comme mobilisation permanente contre les excès et les abus de pouvoir. Ceux-ci sautent aux yeux pour peu que l’on mesure l’écart entre ce qui est fait et ce à quoi nous appelle l’Evangile.

Une telle compréhension de la politique explique que la dénomination « d’anarchiste » soit si fréquemment utilisée à son égard. Pourtant, la Doc-
trine sociale elle-même souligne que les croyants ont « un devoir de dénonciation en présence du péché » et que « cette dénonciation se fait jugement et défense des droits bafoués et violés, en particulier des droits des pauvres, des petits, des faibles ». De la dénonciation des meurtres commis dans le cadre des guerres au nom de la sécurité de l’Etat jusqu’à la défense des paysans sans terre, Dorothy Day écrit et lutte inlassablement sans que jamais son activité politique n’atténue son désir de vie intérieure. En elle se conjuguent harmonieusement les figures de la combattante et de la priante. Cette vision de la politique, qu’il est tentant de réduire au rang de simple discours critiquecontre le pouvoir, s’accompagne de ce qu’on pourrait appeler une intelligence de l’événement. Dorothy Day est en cela proche d’Emmanuel Mounier, le fondateur du personnalisme, quand il affirme : « L’événement sera notre maître intérieur ». Plutôt que de définir la politique comme l’application d’un programme idéologique, il s’agit de la penser comme la capacité de réagir collectivement à ce qui survient sans crier gare. Une crise économique et voilà des milliers de personnes qui dorment dehors… Une déclaration de guerre et voici des avis de mobilisation accrochés sur les murs… Que faire devant de telles catastrophes dont le premier effet est de paralyser l’imagination ? Il est possible de se préparer à de semblables événements pour repousser le piège de la passivité. Non pas en pariant sur l’avenir et en perdant son temps en analyses prédictives mais plus simplement en lisant, en discutant et en prenant soin de ceux qui souffrent tout près de nous. Journaliste passionnée de littérature, Dorothy Day a toujours souligné l’importance des moments passés en commun à réfléchir et à débattre. Dès le début, les maisons de l’hospitalité ouvertes par le mouvement Catholic Worker sont conçues comme des lieux de vie où le soin apporté à la satisfaction des besoins quotidiens ne fait pas négliger la pensée des enjeux de l’histoire présente. Aux yeux de Peter Maurin, les repas partagés sont les ferres de lance des mobilisations vigoureuses.

Ici s’ébauche une forme de vie communautaire qui vient en appui d’une action politique originale. Dorothy Day conçoit la communauté non pas comme un obstacle aux libertés individuelles mais comme un milieu vivant fait de liens d’amitié où les personnes peuvent être considérées, restaurées,
aimées. Les maisons de l’hospitalité, à la fois lieux d’accueil et d’hébergement pour des personnes en difficulté et lieux de formation politique, sont le signe d’un engagement qui se juge à sa capacité d’at-
tention envers les exclus. Les exclus, ce sont d’abord, par excellence, ceux qui demeurent hors du champ de la politique. C’est à partir d’eux que la politique doit être pensée et pratiquée. En donnant aux paroles de l’Evangile la première place et en insistant sur le sens de la commu-
nion, le mouvement Catholic Worker se prémunit contre toute dérive communautariste : le catholicisme est par essence attaché à l’universel et c’est pour cela qu’il est en mesure de rencontrer l’altérité. Les maisons de l’hospitalité accueillent tout type de personnes.

En quoi tout cela peut nourrir un engagement pour notre temps ? En ouvrant Le Simone, à Lyon, et Le Dorothy, à Paris, nous tentons de mettre
en pratique la Doctrine sociale. On sait à quel point la conception chrétienne du travail est originale. Tout en mettant l’accent sur le potentiel émancipateur du travail, elle met en garde contre le risque d’idolâtrie du travail et insiste sur l’importance des bonnes conditions de travail.
Le Simone propose un coworking et Le Dorothy des ateliers pour artistes et artisans. Ces espaces de travail, en ce qu’ils sont jouxtés, dans les deux cas, par des cafés associatifs où se déroulent différentes activités (conférences, expositions, concerts, groupes de prière, cours de français, accueil de personnes sans papier…), sont donc intégrés à un lieu qui déborde le seul cadre professionnel.

Au-delà de cette tentative d’assurer un service économique contemporain, nous voyons Le Simone et Le Dorothy comme des lieux où s’élaborent, à la croisée de différents mondes, des réflexions sur les grands enjeux de notre époque. Cette exigence de formation débouche naturellement sur le désir de faire du Simone et du Dorothy des lieux transformateurs où l’on peut venir puiser des relations, des idées et des engagements inspirants. Sans cette double vocation intellectuelle et relationnelle, nous n’aurions pas pu, par exemple, organiser, en juillet 2016, dans la foulée de l’assassinat du père Hamel et en partenariat avec des associations musulmanes, la Marche de la fraternité. De même, pour prendre au sérieux les incitation écologiques émises par le pape François dans l’encyclique Laudato Si et redécouvrir le sens chrétien de la création, quoi de mieux que de procéder à partir d’une communauté d’amitiés ? On se transforme d’autant mieux soi-même qu’on combat avec les autres. Finalement, nous avons la certitude que le messianisme biblique et évangélique est le meilleur récit politique pour notre époque saturé par les idolâtries, les fausses révolutions et les déclarations répétées de crise générale. Nous sommes en train de nous organiser pour témoigner du fait que les catholiques, en politique, ont mieux à faire que de créer des partis pour conquérir le pouvoir. Ils ont, dans ce domaine aussi, un acte de foi à poser : croire en la folle possibilité, pour un Dieu bon, de rejoindre dès à présent les hommes dans leur histoire. Grâce à Dorothy Day et quelques autres, l’accusation d’idéalisme tombe à tout jamais dans le néant. Nous savons qu’ils ont su donner au Royaume la chance d’apparaître fragmentairement.

Paul Colrat et Foucauld Giuliani, membres du Simone et du Dorothy, 2017

L’histoire du dorothy

L’histoire du dorothy

Nos débuts

Le Dorothy trouve ses racines dans une autre grande ville française… Lyon ! En avril 2016, l’association Les Altercathos y ouvre le café-coworking Le Simone, un lieu de vie et de réflexion qui rencontre un grand succès dès son ouverture. Marqués par leur engagement dans ce projet et liés à Paris, certains membres ancrés à Paris lancent l’idée de s’inspirer de la réussite lyonnaise pour ouvrir un lieu original tourné vers le bien commun dans la capitale. Une quinzaine de personnes répondent rapidement à l’appel pour dessiner ensemble un projet de café-atelier associatif  animé par des chrétiens, ouvert à tous et au service de son quartier. En janvier 2017, le projet est placé sous le patronage de Dorothy Day, activiste catholique américaine du XXème siècle, passionnée par la politique et engagée auprès des plus démunis : « le Dorothy » est né. Nous aimons chez Dorothy Day sa façon originale de lier politique et vie de foi, son action pour la justice, sa créativité et son audace politiques et sa capacité à faire vivre des communautés de travail et de vie.

De l’idée au lieu de vie

Après tout un travail de rencontres de lieux associatif parisiens inspirants, définition des activités et du modèle économique, communication autour du projet, animation d’une communauté naissante avec différentes soirées, conférences, activités et surtout… il est temps de chercher un lieu. Nous sommes mis sur la voie d’un local situé au 85 bis rue de Ménilmontant, dans le nord-est de Paris, appartenant à la paroisse voisine Notre-Dame de la Croix de Ménilmontant. Le lieu nous surprend : il est très (trop ?) grand, sans visibilité sur la rue, il y a beaucoup de rénovation à prévoir pour en faire le lieu convivial que nous imaginons mais le potentiel des espaces, le quartier de Ménilmontant et le jardin finissent de nous convaincre. En novembre 2017 nous voici avec les clés du lieu dont nous ouvrons les portes sans attendre !

Le Dorothy aujourd’hui

Fin 2022 le Dorothy a fêté ses 5 ans d’ouverture ! Aujourd’hui – après avoir été entièrement réaménagé – le lieu est animé presque 7 jours sur 7 avec de très nombreuses activités. Notre chef d’atelier Pascal, premier et unique salarié du lieu, transmet tout son savoir-faire manuel et humain lors des ateliers manuels et prend soin du lieu et de ceux qui l’habitent, notamment des artistes-résidents qui sont une quinzaine à louer un espace de travail pour y développer leurs activités créatives et artistiques (céramique, stylisme, restauration d’oeuvres, peinture…). Une équipe de 15 personnes s’engage à organiser et animer la vie du Dorothy, soutenus fidèlement par plus d’une cinquantaine de bénévoles qui accueillent chaque jour les personnes qui passent la porte du lieu, aident aux chantiers participatifs, s’engagent dans les propositions solidaires… Vous avez envie de vous associer à la vie bouillonnante du Dorothy ? Écrivez-nous !

 

Le Dorothy | Un documentaire signé Le Jour du Seigneur