Le cycle
Vivre en République implique qu’en droit, l’ordre public s’accorde avec la liberté politique. Mais qu’en est-il en fait ? En France, répression policière et privations de liberté semblent s’intensifier à mesure que se renforce l’arsenal discursif et législatif contre les “séparatismes” de tous ordres. La défense de l’ordre républicain contre ses “ennemis” et leur “radicalité” devient l’argument essentiel des attaques à l’endroit des libertés associatives, mais aussi religieuses. Dans ce cycle de conférences, nous chercherons d’abord à interroger la République au nom de son idéal, celui d’un régime de liberté et de justice : la réalité est-elle à la hauteur de cet idéal ? Plus profondément, il s’agira aussi d’examiner l’idée même de République dans ses ambiguïtés, ses impensés et ses failles : l’ordre républicain repose-t-il nécessairement sur la répression, sur la violence et sur certaines formes d’injustice ? Ou est-il possible, à l’inverse, d’œuvrer pour une République vraiment émancipatrice ? Autrement dit, la République pourra-t-elle un jour tenir ses promesses ?
Les soirées
Jeudi 4 avril 2024 à 20h : Troubles à l’ordre public ? Les religions dans la République, avec Valentine Zuber, historienne.
Mardi 30 avril 2024 à 20h : Tous écoterroristes ? Débat sur la criminalisation des luttes, avec Julien Talpin, sociologue.
Jeudi 13 juin 2024 à 20h : Laïcité face à l’islam : émancipation ou contrôle ? Avec Haoues Seniguer, politiste.
1. Troubles à l’ordre public ? Les religions dans la République
Qu’est-ce que l’histoire religieuse nous apprend sur la place des religions dans la vie démocratique aujourd’hui ? Le moment 1905 consacre le modèle français de liberté religieuse mais le lien entre République et diversité des pratiques religieuses semble aujourd’hui érodé. De fait, l’exercice de la liberté religieuse donne lieu, depuis les années 1990, à une vaste jurisprudence dans plusieurs pays européens et devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Les religions seraient-elles devenues un trouble à l’ordre public ? Du cléricalisme comme ennemi désigné des gouvernements à la diversité des pratiques religieuses, peut-on voir un lien entre sentiment anti-protestant dans la France du dernier XIXe siècle et peur de l’islam aujourd’hui ? L’élaboration de la laïcité comme valeur démocratique relève-t-elle d’une cohérence propre de l’idée républicaine ?
Nous aborderons ces questions avec Valentine Zuber, professeur à l’École pratique des hautes études (EPHE) et autrice, notamment, de Laïcité en débat (2020).
2. Tous écoterroristes ? Débat sur la criminalisation des luttes
Jusqu’où la République peut-elle restreindre les libertés ? En août 2021 est promulguée la loi « confortant le respect des principes de la République », dite « loi séparatisme ». En théorie, elle vise notamment à s’assurer, via le « contrat républicain », que les associations hostiles à la République ne soient pas subventionnées. En pratique, elle semble surtout renforcer l’arsenal législatif par lequel l’État peut restreindre les libertés associatives, religieuses et éducatives. Parallèlement, jamais autant de dissolutions d’associations n’ont été prononcées que sous la présidence Macron, visant des groupes relevant de « l’ultragauche » comme de « l’ultradroite », de « l’écologisme radical » comme de « l’islam radical ». Enfin, le discours d’une telle « criminalisation des luttes » contribue à alimenter l’idée d’une opposition entre la République et ses prétendus « ennemis », et ainsi à rejeter hors du champ républicain le dissensus politique. Comment en est-on arrivés là ? Dans quelle histoire cette criminalisation s’inscrit-elle, et que révèle-t-elle des failles du modèle républicain ? Et qu’en est-il, aujourd’hui, de la vie des associations ? En fin de compte, dans la République, le conflit est-il un danger ou au contraire une nécessité de la vie démocratique ?
Pour aborder ces questions, nous recevons le sociologue Julien Talpin, chargé de recherches au CNRS et auteur de nombreuses publications sur les libertés associatives, les quartiers populaires et les mobilisations en France et aux États-Unis.
3. La laïcité face à l’islam : émancipation ou contrôle ?
La mention de l’islam et des musulmans dans le débat politique français s’accompagne souvent d’une logique du soupçon. Depuis les attentats de 2015 notamment, un discours républicaniste, venu de diverses franges du spectre politique et alimenté par l’extrême-droite, somme les musulmans de prouver sans cesse leur attachement à la République et à la Nation. Ce discours, convoquant la laïcité et prétendant défendre les “valeurs de la République”, se traduit par une surveillance accrue des lieux musulmans, mais aussi des populations musulmanes ou jugées telles. En même temps, il focalise l’attention médiatique et politique sur des signes visibles de l’appartenance à la religion musulmane, tendant ainsi à amalgamer les notions d’islam, d’islam conservateur, d’islamisme, de salafisme et jusqu’à la radicalisation djihadiste. De quelle conception de la République ces discours témoignent-ils ? Comment sont-ils employés, et comment sont-ils vécus les populations musulmanes en France ? La notion même de laïcité est mise en question : celle-ci joue-t-elle seulement comme instrument de contrôle, ou pourrait-elle aussi permettre une véritable émancipation pour toutes et tous ? Enfin, la prévention de la radicalisation dans les différentes religions doit-elle passer par une défense de certaines valeurs, qui seraient nécessaires au fait de vivre ensemble ?
Pour en parler, nous recevons Haous Seniguer, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon et auteur de La république autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022).