Christian : “Si ça se passe bien pour moi, c’est grâce à la musique.”

jeudi 16 avril 2020 | Témoignage

DES VIES CONFINÉES : Une série de témoignages en temps de confinement

N’étant pas tous confinés à la même enseigne, nous avons voulu donner la parole à plusieurs amis du Dorothy, des personnes de l’équipe, des habitués, pour qu’ils nous racontent ce qu’ils vivent, et nous partagent leur regard sur cette crise. Chaque témoignage est accompagné d’un portrait réalisé par un artiste du Dorothy


Le confinement se passe très bien dans un sens, je suis habitué à vivre tout seul, mais c’est frustrant de pas aller voir des gens, de pas aller dans les cafés et les restaurants que j’aime bien.

Les seuls échanges que j’ai c’est avec les commerçants ou ceux que je croise dans le quartier. J’ai croisé un habitué de l’association Autremonde, c’est des petits échanges rapides, « ça va, ça va » mais il ne faut pas aller trop loin. Avant le confinement, je voulais arrêter presque tout ce que je faisais côté musique avec des assos, mais là je me rends compte que ça me manque, le lien, le contact, le Dorothy me manque beaucoup, le Carillon me manque, c’est à double tranchant, et c’est pas évident de prendre la décision d’arrêter des choses maintenant.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement. A ce moment-là j’avais d’autres problèmes perso importants donc j’ai pas réalisé, j’ai pas compris, ou vaguement compris. J’ai entendu des rumeurs, j’ai entendu dire que des gens évitaient les personnes asiatiques, puis des copains m’ont expliqué encore vaguement mais j’ai pas réalisé. La prise de conscience ça a été le départ de Paris de certaines personnes des associations, les restos, bars et théâtres qui ont fermé dans la nuit de samedi, déjà vendredi midi un restaurateur solidaire m’avait dit qu’il fermait mais je pensais que ce serait une exception. Puis j’ai compris que c’était important, que ça pouvait durer longtemps, j’étais très frustré. Mais oui j’ai été un peu insouciant, inconscient.

Au début comme d’habitude, et malgré mon expérience de la vie, j’ai pas réalisé pour le confinement.

Chez moi, c’est un petit 3 pièces ou un grand 2 pièces, 43m2, c’est l’ancien appartement de mes parents, payé à l’époque par ma grand-mère qui pensait déjà à moi en l’achetant, trois ans avant que je naisse. Les gens peuvent se dire que c’est grand, mais c’est très rempli. Il y a la pièce de ma mère avec un lit, la pièce du milieu avec un placard, des vêtements, des cartes de restaurants où je vais, et ma chambre où je dors sur un lit où pour le coup il n’y a presque rien. Pour manger j’avais une table qui se montait et se baissait, mais elle s’est bloquée en bas donc je n’ai plus trop de place pour manger, soit je mange par terre, soit sur un petit rebord à coté de ma plaque de cuisson, ça fait partie du coté folklo ! J’ai une télé, un magnétoscope, deux lecteurs DVD dont un Blue-ray, j’ai un micro-ondes dont je sais bien me servir, il y a aussi une grande table mais tout est rempli, il y a des disques, des papiers, des DVD, des VHS, les revues qui vont avec, de gros classeurs… Heureusement il y a des planches pour faire un rangement en hauteur. Il y a deux balcons tout-petits dont je me sers pas vraiment. J’ai une bibliothèque de ma grand-mère avec des objets d’autrefois auxquels je tiens beaucoup. J’ai vendu plein de choses mais j’ai gardé que des objets sentimentaux.

Dans mes journées je suis complètement décalé. Je dors pas beaucoup la nuit et je me réveille souvent vers 4 ou 5h. Je regarde la chaine 17 où ils repassent en boucle les informations, ou BFM TV, pour savoir si ça s’aggrave. J’alterne les deux chaines. C’est comme ça que j’ai appris que l’attestation allait être remplacée par le portable, moi j’en ai pas mais je le ferai sur papier. J’achète jamais de journal et c’est la 1ère fois que je regarde les infos comme ça, avec importance, pour donner des renseignements aux gens, même si j’ai pas de portable. Après je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue. Je vais au supermarché tôt et pendant les heures creuses mais ça m’arrive aussi d’aller chez des fromagers, même si c’est cher, c’est des petits plaisirs. Mon repas du midi c’est entre 9h et 10H et mon diner vers 16-17H. Ce qui est bien avec mon rythme c’est que je peux me recoucher un peu dans la matinée.

Je m’arrange pour faire les courses et être le premier ou un des premiers dans le magasin, je refuse de faire la queue.

Si ça se passe bien pour moi c’est grâce à la musique que j’écoute beaucoup. J’essaye de changer, de pas m’abrutir, de varier les styles de texte, en français et en anglais. Par exemple aujourd’hui j’ai écouté Hubert-Félix Thiéfaine, j’ai écouté -M- même si je suis pas fan à 100%, j’ai du mal à rentrer dedans. J’essaye de me forcer à écouter des choses que j’avais achetées et que je voulais découvrir ou redécouvrir. Je réécoute David Bowie que j’adore, Yves Simon aussi qui est dans le style de Maxime Le Forestier mais en mieux avec plus de bonnes chansons et de disques aboutis, c’est vraiment très agréable. J’écoute un peu Dadju, c’est le petit frère de Maître Gim’s, il a fait deux albums, un que j’aime et l’autre beaucoup moins. Ce que je découvre aussi c’est des disques des gens des Victoires de la Musique et notamment des femmes : Maëlle, Pomme, Aloïse Sauvage, Léa Paci… ça détend c’est assez doux, pas trop violent. Sinon je regarde le DVD des Enfoirés et plus rarement je regarde des films, un tous les trois jours je dirais.

En ce moment je suis plutôt fatigué et comme mon risque de diabète a baissé, je vais moins marcher. Avant je marchais beaucoup la nuit pour faire de l’exercice et croiser personne. Je me couche tôt, les heures avant minuit sont très récupératrices donc j’ai pas besoin de dormir beaucoup ensuite. Je m’ennuie, mais c’est pas horrible, comme j’ai l’habitude d’être seul ; j’ai tellement de choses à voir écouter, ça pourrait durer longtemps, mais au bout d’un moment ça devient frustrant, en plus il fait de plus en plus beau. Je ressens de la fatigue psychologique mais je vieillis un peu et c’est le début de printemps, c’est un moment où plein de gens sont fatigués physiquement. J’ai aussi fait quelques petites crises de nerfs, je pense que c’est un peu alimenté par la situation.

C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu.

Ce qui est le plus difficile pour moi c’est de ne pas pouvoir revoir une jeune femme que j’aime beaucoup, en plus j’ai des choses à la fois méchantes (seulement 10%) et gentilles à lui dire, ça me ferait beaucoup de bien. Je l’appelle une à deux fois par semaine, elle me manque énormément. Ce qui est dur aussi c’est de ne pas voir certaines personnes, le manque de contact humain. Les chansons du dimanche que je fais au Dorothy me manquent aussi, ça fait déjà cinq semaines, et aujourd’hui ça aurait dû être le repas partagé du dimanche. Il y a aussi les concerts, qui me manquent, j’ai hâte d’y retourner.

Après ce qui est sympa dans le confinement, c’est que beaucoup de gens m’ont appelé pour prendre des nouvelles, le Dorothy en première position pour le nombre de personnes, je pense pas qu’on m’aurait appelé autant avant. Sinon pas mal de gens de l’immeuble sont partis, il n’y pas grand monde dans les rues, c’est pas plus mal on se croirait un peu au mois d’août, je me sens plus libre dans l’immeuble et dans le quartier. Ce confinement ça tombe vraiment dans une période spéciale pour moi, j’ai envie de tout arrêter avec les scènes que je faisais dans les assos. L’avantage c’est que ça me permet d’essayer de prendre du recul, de méditer, réfléchir tranquillement. C’est un peu le hasard d’avoir du temps pour ça, c’est un peu comme une retraite spirituelle, mais sans la religion, ou très peu. Là je suis un peu obligé, je l’aurais fait de manière différente, mais ça peut changer ma vie, il faut que je choisisse, le hasard peut bien faire les choses.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais.

La première chose que je voudrais faire après le confinement c’est courir après la jeune femme dont je parlais, revoir certaines personnes que j’aime bien un peu partout, essayer de bien sélectionner ceux que je veux voir, retourner dans certains restos et bars où je connais du monde, voir si je continue la scène un peu ou très peu, mais surtout revoir les gens que j’aime. Je pense aux gens du Dorothy qui m’ont permis d’évoluer dans la religion et la spiritualité pendant mon année 2019, je pense surtout à Thérèse pour sa grande gentillesse désintéressée. Ah si, il y a aussi le concert du groupe YES le 21 mai à l’Olympia, j’espère que j’y serai !

Playlist bonus :
Let’s dance https://www.youtube.com/watch?v=VbD_kBJc_gI
La bonne nouvelle https://www.youtube.com/watch?v=4a7JN7TWG_U
A nos héros du quotidien https://www.youtube.com/watch?v=fVuCviFkqNw


Portrait réalisé par Bertille Mennesson
Témoignage recueilli par Constance Gros