Compte-rendu de la conférence donnée au Dorothy par Alban Massie (jésuite, diplômé en journalisme, philosophie et théologie, il enseigne au Centre Sèvres (Paris) et vit à Bruxelles où il dirige la Nouvelle revue théologique) le 13.01.2022.
Le mot de Confessions (livre rédigé entre 397 et 401) a été choisi par Augustin au pluriel : il signifie non seulement l’aveu des péchés mais aussi la louange de la gloire de Dieu et aboutit à la profession de la foi. Cet ouvrage écrit dans les premières années de l’épiscopat d’Augustin, 10 ans après son baptême à l’âge de 32 ans, se présente sous la forme apparente d’un dialogue avec Dieu, auquel s’adressera souvent en langage inspiré sinon « divin » – avec les mots poétiquement et liturgiquement consacrés des Psaumes.
Au début s’exprime la quête de l’homme :
“Tu nous as faits orientés vers toi, et notre cœur est sans repos jusqu’à ce qu’il commence à reposer en toi (« donec resquiescat in te ») (Conf. 1, 1).“
À la fin se fait entendre une prière après la contemplation de l’œuvre des six jours qui aboutit au sabbat, au repos de Dieu, invitation au repos du cœur :
“Seigneur Dieu donne-nous la paix tu nous as tout donné. Paix du repos. Paix du sabbat. Paix sans un soir. Ordre très beau de tout ce qui est très bon. Qui jusqu’au bout se dépassera. Et un matin et un soir s’y feront. Mais le septième jour n’a pas de soir et ne se couche jamais. Tu l’as fait saint pour qu’il dure toujours. Et après avoir tout fait très bon, et que tu as pourtant fait dans le repos, tu t’es reposé le septième jour. Pour nous dire d’avance par la voix de ton livre, qu’après tout ce que nous aurons fait de très bon, et parce que c’est toi qui nous l’as donné, nous aussi, au sabbat de la vie éternelle, nous nous reposerons en toi. Et tu te reposeras en nous comme tu travailles en nous. Ce sera ton repos par nous comme ce travail est à toi par nous.” (Conf. XIII, 51-52, trad. Boyer)
Entre les deux, un récit qui raconte les trois conversions d’Augustin. Conversion à la sagesse (après la lecture de Cicéron) ; conversion à la philosophie néo-platonicienne (à Milan) et conversion à Jésus Christ (Baptême). L’enjeu de cet ouvrage est d’édifier son lecteur :
“(L’autobiographie) n’est à ses yeux édifiante que dans la mesure où elle montre comment, la grâce aidant, et à la condition d’une réceptivité active à ses appels, l’homme peut sortir de la « région de dissemblance » et se tourner vers Dieu. La vie d’Augustin n’a d’exemplaire que les voies de sa conversion et ainsi les Confessions sont un protreptique (« discours pour exhorter ») chrétien fondé, non sur un discours d’édification philosophique ou spirituelle, mais sur des données autobiographiques.” (S. Lancel)
Il écrit ce texte après la mort de st Ambroise (396). Et jusqu’en 401. L’ouvrage se divise en deux parties sur treize livres. Du premier livre au dixième, il est question du “moi” et dans les trois autres livres, il s’agit des Écritures sacrées.
La première partie (I-IX) est narrative, homogène, autobiographique. Augustin fait une pause : au début du livre X et note l’effet – bénéfique – de ses Confessions sur ceux qui les lisent ou qui les entendent : elles remuent le cœur, elles l’empêchent de s’endormir dans le désespoir.
Très important est le livre III qui porte sur l’identification de la vérité à l’explication du monde. Cette perspective est explorée par le mythe des manichéens dont il fit partie pendant neuf ans, et Augustin montre que ce mythe s’oppose au récit biblique de la création de l’homme image de Dieu. L’évêque d’Hippone réfléchit ensuite sur les questions relatives au mal, à partir des contradictions de sa propre vie morale, qui furent apaisées dans le dualisme manichéen incompatible avec le libre arbitre. Cette présentation de son époque manichéenne est unifiée dans la critique biblique du jugement manichéen sur le comportement moral des patriarches de la Genèse.
L’évêque d’Hippone raconte que son entrée dans la secte manichéenne fut motivée par la déception quʼil éprouva à la lecture de la Bible après lʼélan ressenti au contact de lʼHortensius. Nʼayant pas trouvé le nom du Christ chez Cicéron, il se pencha sur les Écritures chrétiennes, dont les récits lui parurent alors, du fait de son orgueil, explique-t-il :
Les Ecritures étaient « indignes dʼentrer en comparaison avec la dignité cicéronienne » (Conf. 3, 5, 9)
Les manichéens, au contraire, lui offraient dʼentrer dans un système religieux où il trouverait des réponses immédiates aux questions intellectuelles et existentielles qui lʼhabitaient alors. Le manichéisme : « promesse dʼun christianisme spéculatif qui, tout en gardant lʼapparence du dogme, le dispensait de la foi et lui permettait de donner libre cours à sa raison » (A. Solignac, « Introduction », BA 13, p. 130).
Le livre IV présente plusieurs allusions à la question de l’amitié, thème fort dans la structure ecclésiale manichéenne. Le livre V évoque l’astronomie manichéenne, la rencontre avec l’évêque manichéen Faustus, l’amitié de Constantius, et prépare, avec l’épisode d’Elpidius (ami catholique réfutant les attaques des manichéens contre l’Ancien Testament), les livres VI et VII. Ceux-ci reprennent des questions du livre III relatives à l’Ancien Testament, au livre VI, sur Dieu et le mal, au livre VII. Enfin le livre VIII présente la question du libre arbitre et la biographie proprement dite aboutit au baptême et à la vie mystique nouvelle avec la fameuse extase partagée avec sa mère Monique (livre IX).
Dans la deuxième partie, des livres X à XIII, Augustin élargit son propos à la relecture de l’histoire humaine à l’aune de l’origine et de la fin :
X : la quête de Dieu. Confession de l’amour de Dieu et de l’ignorance morale permettent l’espérance de la Sagesse d’en haut, dans la médiation du Christ
XI : la tension de l’esprit vers l’avant conduit à confesser celui qui est sans avant, Dieu éternel (Que faisait Dieu avant la création du monde ?)
XII : les sens de l’Écriture : en elle se reflète l’existence humaine (le ciel et la terre)
XIII : la preuve qu’est l’Écriture pour donner le sens de la vie humaine (sens mystique de la création ; cf. interprétation de l’Hexaméron : les six jours de la création = les six âges, d’Adam à Noé, de Noé à Abraham, d’Abraham à David, de David à la transmigration à Babylone, de Babylone à l’avènement du Seigneur, de l’incarnation à la fin des temps.
Augustin termine avec une citation de l’évangile, Mt 7, 8, « frappez et on vous ouvrira » : non pas directe, non pas comme un ordre donné par le Seigneur extérieurement, mais comme une conviction de l’auteur qui fait suite au parcours de confessions et de conversions à l’agir et à la pensée de Dieu :
Et l’intelligence de tout cela, qui parmi les hommes pourra la donner à l’homme ? Quel ange à l’ange ? quel ange à l’homme ? Qu’on te demande à toi, que l’on recherche en toi, que l’on frappe chez toi. Ainsi, ainsi l’on recevra, ainsi l’on trouvera, ainsi la porte s’ouvrira (sic aperietur). (Conf. 13, 53).
Pourquoi raconter sa vie ? Non pour soi-même, non pour Dieu, mais pour ceux qui le liront :
« Il faut raconter sa vie de manière à inviter les autres à recevoir la vie qu’on a reçue soi-même » (En. Ps. 55, 14 : commentaire de « Seigneur, je t’ai fait connaître ma vie » Ps 55, 9 vulg., tr. dans la BJ : Tu as compté, toi, mes déboires, recueille mes larmes dans ton outre !). Exemple de Paul (1Tm 1, 13 : moi, naguère un blasphémateur, un persécuteur, un insulteur. Mais il m’a été fait miséricorde). C’est l’objet des Confessions : Vient un temps où, faute d’argent, il ne peut suivre les cours à Madaure (deux ans plus tard : liaison avec sa concubine, et naissance d’Adéodat en 372, qui mourra en 389).
Je raconte cela, mais à qui ? Ce n’est pas à toi, mon Dieu ; mais devant toi je le raconte à ma race, à la race humaine, si petite que puisse être la portion de ceux qui tomberont sur cet écrit. Et pourquoi cela ? Évidemment pour que moi et mon lecteur éventuel nous considérions de quelle profondeur il faut crier vers toi. Et quoi de plus proche que tes oreilles, pour un cœur qui le confesse et qui vit par la foi ? (Conf. 2, 5)
Il constate alors la justice donnée par Dieu dans la foi et la proximité de Dieu pour le pécheur : c’est l’objet des Confessions.
Le lecteur peut être surpris par la découverte d’une théorie de la mémoire exposée dans le livre XX : il faut, dit Augustin, aller chercher dans le palais de la mémoire et appeler les souvenirs pour que se présentent ceux qu’il désire :
En vérité, la femme qui avait perdu la drachme la chercha avec sa lampe (cf. Lc 15, 8), et, si elle ne l’avait pas eue en mémoire, elle ne l’eût pas retrouvée ; car, supposé qu’elle l’eut retrouvée, comment aurait-elle su que c’était bien elle, si elle ne l’avait pas eue en mémoire ? Il y a beaucoup d’objets perdus que je me souviens d’avoir cherchés et retrouvés ; aussi, je sais bien qu’au moment où je cherchais l’un d’entre eux et que l’on me disait : « C’est peut-être ceci ? C’est peut-être cela ? », je disais toujours : « Ce n’est pas ça », jusqu’à ce que l’on présentât ce que je cherchais. Si je ne l’avais pas eu en mémoire, quel que fût cet objet, même si on me l’avait présenté, je ne l’aurais pas trouvé, puisque je ne l’aurais pas reconnu. Il en est ainsi pour tout objet perdu que nous cherchons et retrouvons. Toutefois, s’il y a par hasard un objet que les yeux perdent de vue, non la mémoire, par exemple un corps visible quelconque, on retient intérieurement une image de lui et on le cherche jusqu’à ce qu’il soit rendu au regard. Quand on l’a retrouvé, c’est l’image intérieure qui le fait reconnaître. Nous ne disons pas que nous avons retrouvé ce qui était perdu, si nous ne le reconnaissons pas ; par ailleurs, nous ne pouvons reconnaître, sans nous souvenir. Cet objet était perdu, c’est vrai, pour les yeux ; la mémoire le retenait. (Conf. X, 18)
Voici le commentaire qu’en donne Rupnik du point de vue spirituel :
La mémoire est basée sur l’expérience. Cette dimension de l’intelligence fonde la connaissance dans l’expérience. Par l’expérience, la mémoire lie constamment l’intelligence à la vie et permet aussi que la réflexion, la spéculation, le raisonnement ne se séparent pas de la vie. … la mémoire agit sur deux registres. D’un côté, c’est une activité tout à fait humaine, parce qu’élaborée par notre intelligence sur la base de l’expérience ; de l’autre côté elle est ouverte au mystère infini auquel nous introduit la vie elle-même, à partir du moment où cette vie nous porte constamment à un seuil, à une limite, d’où elle nous parvient : la vie vient, elle nous visite, elle nous est donnée ; Même si en un certain sens, nous avons prise sur notre expérience de vie, en dernière analyse celle-ci nous échappe et il nous faut admettre l’impossibilité de la maîtriser. Et ce qui dans la vie ne peut être maîtrisé et qui nous porte à percevoir cette ouverture est exactement le mystère des libres relations, de l’amour, c’est-à-dire le mystère de l’autre. C’est en dernière instance le mystère de Dieu, le Seigneur de la vie. (Au regard de Dieu, L’examen de conscience, Fidélité, 2006)
Dieu se communique à nous dans la vie. Il y a alors en quelque sorte une mémoire habitée par Dieu, tant il est vrai que toute l’Écriture est une mémoire de Dieu dans l’histoire des hommes. Bien plus, la religion est en grande partie une mémoire de l’action de Dieu. Cette communication de Dieu, cette grâce de Dieu qui se donne, mû par son amour pour ses créatures, et cet accueil de sa communication, de son don, cette mémoire de ce rapport divino-humain, est précisément la Sagesse de Dieu.
Augustin lui-même récapitule l’histoire du salut en sa propre vie. L’abondant usage du langage des psaumes est une référence continue à l’histoire du peuple d’Israël qu’Augustin assume en son parcours personnel de conversion.
On a souvent fait remarquer qu’Augustin s’attribuait dans les Confessions la personnalité spirituelle de l’apôtre Paul, ce qui rendrait difficile l’identification historique des faits relatés. Indépendamment de la question de l’historicité des Confessions, on peut admettre que ce n’est pas seulement Paul qui sert de modèle de conversion, mais Israël comme personnalité typique et singulière, en tant que son alliance avec Dieu constitue une référence permanente à la confession de pénitence et de louange qu’engage Augustin dans son récit. Les exemples ne manquent pas de cette appropriation de l’histoire d’Israël, tout particulièrement aux moments clefs des Confessions.
Dans la scène du jardin préparatoire à celle de la conversion, la présence d’un figuier ne peut être fortuite. À l’instant où Augustin va faire la vérité sur sa vie en renonçant aux détours du vice et en s’élançant dans une vie nouvelle, il se reconnaît comme un nouveau Nathanaël, à qui Jésus dit : voilà un véritable Israélite sans détour. […] Je t’ai vu sous le figuier (Jn 1, 47-48)
Au sommet du récit de l’extase d’Ostie, Augustin abandonne le langage néoplatonicien pour souligner que son expérience spirituelle s’insère dans la tradition biblique : Monique et lui deviennent un Israël mystique, troupeau conduit sur les paturages psalmiques (cf. Ps 22, 1-3) : […] nous sommes arrivés à nos âmes, nous les avons dépassées pour atteindre la région de l’abondance inépuisable où tu repais Israël à jamais dans le paturage de la vérité.
Dans le prologue qui annonce l’exégèse du récit de la création, au livre XI, il est un nouveau Moïse qui demande que le Seigneur opère en lui la « circoncision » de l’humilité : « Circoncis toute témérité, tout mensonge, au-dedans et au-dehors, autour de mes lèvres. »
En bref, les Confessions montrent que la quête de l’homme est orientée par le désir de la rencontre avec Dieu, parce que Dieu lui-même va vers l’homme. On ne peut lire cet ouvrage sans y percevoir la présence de celui qu’Augustin a aimé si tard, le Verbe fait chair, qu’il a cherché dans sa recherche philosophique, qu’il a trouvé dans l’humilité de la foi chrétienne.