Par Foucauld. Février 2021.
Toute guérison, parce qu’elle sauve du péril de la mort, met en jeu la question du sens de la vie. N’est-ce pas cette question – et les réponses qu’elle pourrait susciter – qui échappe à notre société frappée par la pandémie ?
Quand nous guérissons, c’est le plus souvent grâce à l’intervention bienfaitrice d’un médecin et à l’assistance prodiguée par l’entourage. La vie guérie, le corps remis d’aplomb, est une vie soignée, c’est-à-dire dont on a pris soin. La vie amoindrie qui reprend possession d’elle-même rencontre inévitablement cette question : à quoi vais-je consacrer mes forces retrouvées ? Toute personne ayant été malade connaît cette exaltante impression de renaissance accompagnant la guérison. A la conscience redécouverte de la mortalité – expérience de pensée offerte à tout malade – succède le sentiment de la vitalité retrouvée. En les sauvant, on donne donc aux vies l’occasion de penser la question de la dépense de leur énergie vitale. Guérie par d’autres qu’elle, toute vie rétablie se demande pour quoi elle veut vivre, à quoi elle désire se consacrer.
Plus la crise actuelle du Covid dure, plus risquent d’apparaître des exaspérations et des clivages mortifères : jeunes contre vieux, personnes impatientes de reprendre le cours de leur existence contre personnes à la santé vulnérable et partisans d’une prudence sanitaire maximum… Éprouvante pour tous, la situation vécue depuis bientôt un an a des conséquences extrêmement diverses : dramatiques et catastrophiques pour certains, gênantes et angoissantes pour d’autres. Ni les discours faisant de la santé le bien suprême sans être capable de le justifier, ni la criminalisation du non-respect des règles sanitaires, ni les moyens importants mis en œuvre pour sauver des vies ne suffisent à donner sens à nos choix éthiques et politiques. S’en contenter nous expose forcément à l’utilitarisme, qui commande de ne pas sacrifier le bien du plus grand nombre à celui du plus petit.
Dès lors, il importe de voir au-delà de la vie menacée, mise en péril par la maladie, pour penser la vie sauvée de la maladie ou simplement épargnée par celle-ci. Les discours de prévention et les dispositifs de protection sont sans doute nécessaires mais insuffisants. Dans notre société, soigner le corps malade, tout faire pour qu’il guérisse, est un impératif pratique et moral. Cela est heureux. Il serait donc insensé de vouloir conditionner le soin au projet de vie souhaité par le malade. Rien n’empêche cependant de puiser aux sources de notre culture afin de penser le sens de cette vie dont nous nous efforçons de maximiser la durée. Les Évangiles sont riches de scènes où le Christ côtoie et échange avec des malades. Dans l’Évangile selon Marc, au chapitre 1, il guérit la belle-mère de Simon, l’un de ses disciples. Voici ce que nous dit le texte : « Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait. » Au-delà de la guérison apparemment miraculeuse accomplie par le Christ, l’attitude de l’ancienne malade interpelle : en faisant du service et de la charité la finalité de sa santé retrouvée, elle témoigne que cela constitue à ses yeux la valeur suprême de l’existence. La portée d’un tel texte est universelle. Ni les malades, ni les femmes sont évidemment les seuls concernés ici. Le Christ nous révèle que la vie s’accomplit dans le don de soi, donc que la vie est en droit subordonnée à l’amour. Nous ne sommes pas face à une leçon de morale ; la vocation la plus profonde de l’homme est mise en lumière. Plus que vers la mort, la maladie et la guérison font donc signe vers la question de la valeur suprême de la vie. En ce point, nous sommes tous indistinctement convoqués, étant tous potentiellement malades et fatalement mortels.
Cet article a initialement été publié sur le site du magazine d’actualité La Vie : https://www.lavie.fr/idees/covid-19-la-guerison-met-en-jeu-la-question-du-sens-de-la-vie-71270.php